mercredi 22 janvier 2014

# Grève / Rêve

Elisabeth est devant moi. Tout du moins, semble-t-il.

Je pense qu'elle sait que je ne l'entend pas, sa voix ne s'est toujours pas imposée. Elisabeth n'a dans la bouche aucune expression, aucun tic de langage. Elle a n'a pas de larynx, parce qu'elle n'a rien à dire. C'est une supposition. 

Je pense qu'elle sait ce qu'elle risque, Elisabeth Ambrose, si elle se retrouve muette dès le début de l'histoire. Je n'accueillerai pas sa parole, et me lasserai très rapidement de devoir décrire ses gestes. 

Personnage de fiction, Elisabeth, une parmi d'autre. 
Mais ici : une seule narratrice.

Elisabeth devant moi, ce qu'elle voit, elle, c'est l'autoroute, l'aire de repos, le poteau, la grille ou la balance, le mois d'août, ses pupilles. Elisabeth est rousse, faite de lait et de son. Quand viennent les équinoxes, ses yeux changent de couleur. 

Elisabeth a vingt-six ans, maintenant sa vie va commencer. Sa vie de personnage dénué de toute ambition. 

Je suis la narratrice, je fais ce que je peux avec le matériel livré. Je raconte, moi, c'est tout. L'auteur est bien gentille, avec ses grandes idées d'atelier de fabrication d'un personnage de fiction où plein de gens participeraient parce qu'ils n'auraient que ça à foutre. D'ailleurs l'auteur, ce qu'elle fait ce soir, pendant que je me farcie le boulot, ce qu'elle fait l'auteur pendant ce temps-là, je vous le demande. 

Par conséquent, je récapitule. Je suis la narratrice, Elisabeth Ambrose, je connais son avenir, c'est dans mes compétences. Je saisis son présent par de très légers flashs, son passé, qu'en est-il.

Peut-être qu'il est possible de faire brûler les morts, les maisons, les familles, les totems, les bourreaux. De récupérer les cendres, de les mettre dans une boîte parfaitement hermétique. Je suis la narratrice, je me pose des questions et parfois je me fâche. Les cendres je les mélange avec de l'huile de truffe et un peu de paprika, on n'a jamais fait mieux pour relever le rôti de porc. 

Je suis la narratrice, je ne me rends pas bien compte de ce que signifient concrètement, les mots estomac et ulcère, ceci étant je n'éprouve pas de honte à devoir juste l'imaginer. Ce n'est pas dans mes fonctions, de ressentir par la chair. Sinon jamais je n'aurais pu décrocher ce poste. 

Il y aura un long silence, et puis à ce moment-là, je ne sais pas pourquoi, à force de traumas, de valses autour des marronniers, d'automnes séniles, enfin. Bref. Je sais pas. Un long silence, et puis je suis rentrée de force.

Moi, c'est Elisabeth. Elisabeth Ambrose, 26 ans.

Je vais ouvrir une porte, et vous allez me suivre.


1 commentaire:

  1. Il me manque déjà. Je sais qu’Il me manquera par moments, plus ou moins rapprochés, plus ou moins violents. Que j’aurai envie de le dire mais que je n’y arriverai pas autant qu’il le faudra. Que je ne pourrai le lui dire à Lui, ni le lui écrire comme on craque en envoyant un texto à cet amant toxique qu’on s’était jurée pour la énième fois de ne pas relancer. Alors, je le dirai en préparant le diner et en cherchant mon pass Navigo au fond de ma besace. Fort ou moins, pour éviter de passer pour une timbrée, je le dirai souvent à personne, enfin à moi-même comme si je le lui disais à Lui. Et je le dirai à ma psy quand on s’engueulera parce-que je serai odieuse avec elle sans raison apparente et pourtant avec tant de raisons ensevelies sous mon silence. Je n’ai personne d’autre à qui le dire de toute façon, pourquoi parler ? Gribouiller. “Il me manque”. Je l’inscrirai sur l’étiquette de ma boîte aux lettres à la place de mon nom et je signerai mes chèques de ces trois mots. Je ne paierai plus par carte bancaire.

    Je le dirai à ma psy et elle en profitera pour me reprocher de ne pas me raconter plus que ça…
    Elle m’emmerde.
    Ce que je ressens. Et pas les faits, mon passé.
    Mon épiderme, mon diaphragme, mon sexe. Et pas mon histoire.
    C’est déjà pas mal.
    Elle m’emmerde et surtout, je l’emmerde.
    Encore une fois et ma bouche ne va pas lui donner mais lui prendre.
    J’en fais ce que je veux du bout de mon bifton de cinquante, c’est moi qui décide et si elle continue, c’est entre mes dents que vont finir son épiderme, son diaphragme, son sexe.

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